mardi 17 juin 2008

Le journaliste, même pigiste, est présumé être salarié

Lors d'une procédure judiciaire, la preuve joue un rôle déterminant.

Il est en particulier nécessaire de rechercher sur quelle partie au procès pèse la charge de la preuve.

Normalement celui qui se prétend titulaire d'un droit doit le démontrer (selon les termes de l'article 1315 du Code civil : « celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver »).

Mais ce principe souffre de plusieurs exceptions. 

La présomption est est une. Il s'agit en effet d'un mécanisme juridique destiné à faciliter l'administration de la preuve.

Selon l'article 1349 du Code civil, "les présomptions sont des conséquences que la loi ou le magistrat tire d'un fait connu à un fait inconnu".

Celui qui bénéficie d'une présomption est donc dispensé d'apporter la preuve de ce qu'il avance (l'article 1352 du Code civil dispose que : "la présomption légale dispense de toute preuve celui au profit duquel elle existe")

Parfois, celui à qui l'on oppose une présomption peut apporter la preuve contraire (la présomption est réfragable) parfois la preuve contraire est interdite (la présomption est alors irréfragable).

Le droit du travail connaît de nombreuses présomptions ; certaines sont réfragables, d'autres ne le sont pas.

Par exemple, en l'absence d'écrit, un contrat de travail est présumé être un contrat à durée indéterminée à temps plein. L'employeur peut néanmoins apporter la preuve que la relation de travail était à temps partiel. Il n'est en revanche pas admis à démontrer que cette même relation était à durée déterminée.

Selon l'article L.7112-1 (anciennement article L.761-2) du Code de travail, "toute convention par laquelle une entreprise de presse s'assure, moyennant rémunération, le concours d'un journaliste professionnel est présumée être un contrat de travail. Cette présomption subsiste quels que soient le mode et le montant de la rémunération ainsi que la qualification donnée à la convention par les parties".

Cette disposition fait donc bénéficier aux journalistes professionnels et assimilés (fait connu) d'une présomption de salariat (conséquence du fait connu).

La Cour d'appel de Paris rappelle que "ni la qualité de pigiste, c'est-à-dire rémunéré forfaitairement à la pige, ni le montant de la rémunération, ni le volume du travail confié, ni la variation dans le temps de ce volume n'ont d'incidence sur cette présomption" (C.A. Paris 18 mai 2010)

Cette présomption est toutefois réfragable. 

Il appartient donc, non pas au journaliste de démontrer qu'il est salarié mais, s'il le conteste, à son cocontractant, c'est-à-dire à l'entreprise qui a (ou a eu) recours à ses services, d'apporter la preuve que ce journaliste n'est pas salarié.

Deux arrêts de la Cour de cassation, fournissent une bonne illustration de cette règle :

Dans une première décision (Cass. 11 mars 2008, n°06-45568) la Cour de cassation examinait le recours formé par un photographe pigiste, journaliste professionnel. Ce photographe avait été payé en droits d'auteur (et non pas par des salaires) pendant une quinzaine d'années par une Société de presse. Après la rupture des relations professionnelles, il avait saisi la juridiction du travail estimant être en fait salarié de cette Société.

La Cour d'appel d'Aix-en-Provence l'avait débouté de ses demandes au motif que s'il démontrait effectivement être journaliste photographe professionnel, il n'apportait pas pour autant la preuve qu'il était salarié de la Société de presse.

La Cour de cassation, logiquement, réforme cette décision en rappelant que tout journaliste est présumé être employé en qualité de salarié et que c'est donc à l'entreprise d'apporter la preuve qu'elle n'était pas liée à ce journaliste photographe par un contrat de travail.

Dans une seconde affaire (Cass. soc. 12 mars 2008, n°07-41816) la Cour de cassation, censure également la décision rendue par une Cour d'appel qui, après avoir rappelé que la présomption de salariat établie par l'article L.761-2 paragraphe 4 du Code du travail (devenu article L.7112-1 du Code du travail) peut être renversée par la preuve contraire apportée par l'employeur, reprochait à un pigiste de ne pas établir la réalité de ses prétentions, notamment quant aux directives sur le choix des sujets, qu'il soutenait avoir reçues de la Société de presse.

La Cour de cassation relève la contradiction de motifs et, après avoir rappelé que la fourniture régulière de travail à un pigiste fait de lui un collaborateur régulier qui doit bénéficier à ce titre des dispositions légales applicables aux journalistes professionnels (et donc de la présomption de salariat), elle reproche à la Cour d'appel d'avoir inversé la charge de la preuve.

Le journaliste, en l'espèce pigiste régulier, devait en effet bénéficier de la présomption de salariat et il appartenait à l'entreprise d'apporter la preuve que ce journaliste pigiste régulier n'était pas salarié, c'est-à-dire essentiellement qu'il n'existait pas de lien de subordination.

La charge (ou encore le fardeau) de la preuve du salariat ne pèse donc pas sur le journaliste ou assimilé, même pigiste régulier.



vendredi 1 février 2008

Journaliste et avocat ?

Pendant plus de 7 ans, une société éditrice de presse fait appel à une avocate pour écrire un article destiné à être publié dans la rubrique juridique d'un des magazines qu'elle édite. 
L'avocate saisit le conseil de prud'hommes estimant qu'elle est liée à cette société par un contrat de travail. Elle réclame diverses sommes à ce titre. 

La Cour d'appel de Paris statuant sur contredit (c'est-à-dire sur un recours portant sur la compétence de la 1ère juridiction) estime que si l'avocate a écrit des articles dans ce magazine, alors elle avait nécessairement le statut de journaliste professionnelle. Or, et toujours selon la Cour d'appel, l'exercice de la profession d'avocat étant incompatible avec l'exercice d'une autre profession et aucune dérogation n'étant envisagée pour la profession de journaliste, aucun contrat de travail n'avait pu exister entre cette avocate et la société de presse. 

La Cour de cassation réforme cette décision (Cass. civ. 19 déc. 20007 n° 07-40384). Elle estime en effet qu'il appartenait à la Cour d'appel de rechercher si cette avocate apportait à la société éditrice de presse "une collaboration constante et régulière dont elle tirait l'essentiel de ses ressources" et ce conformément à la définition du journaliste posée par l'article L761-2 du Code du travail (qui deviendra prochainement l'article L7111-3). Selon la Cour de cassation, les règles déontologiques de la profession d'avocat interdisant une telle situation n'avaient aucune incidence sur la question posée, cette incompatibilité relevant des rapports de l'avocate avec son ordre et non pas avec la société de presse.

Cette décision est logique puisque le statut de journaliste professionnel, comme d'ailleurs celui de salarié, relève avant tout d'une question de fait. C'est en examinant objectivement la situation de chacun des cocontractants qu'il est possible de qualifier (ou de requalifier) leurs relations contractuelles. Les tribunaux ne doivent d'ailleurs pas s'arrêter à la dénomination que les parties ont donnée à cette relation contractuelle et ils doivent en rechercher la véritable nature. 

Ici, si cette avocate démontrait avoir régulièrement et constamment collaboré avec la société éditrice de presse et avoir tiré de cette collaboration l'essentiel de ses revenus (en comparaison avec les honoraires qu'elle pouvait percevoir par ailleurs), rien ne justifiait qu'elle ne puisse pas accéder au statut de journaliste professionnel. 

En d'autres termes, ce n'est pas parce que l'on pas le droit d'exercer la profession de journaliste que l'on est pas journaliste ! 

En effet, s'il est exact, comme l'avait relevé la Cour d'appel dans cette affaire, que conformément aux dispositions de l'article P. 41.1 du règlement intérieur des avocats (disposition propre au barreau de Paris) "l'exercice de la profession [d'avocat] est incompatible avec toutes activités de nature à porter atteinte à l'indépendance, à la dignité de l'avocat, au caractère libéral de la profession et avec tout emploi salarié autre que celui d'avocat salarié ou d'enseignant"l'éventuelle sanction qui pouvait être infligée à cette avocate par son Ordre était sans effet direct sur la question soumise à la Cour (sanction qui aurait par exemple pu être la radiation de l'avocate, celle-ci pouvant d'ailleurs préférer poursuivre son métier de journaliste). 

Poussé à l'extrême, le raisonnement de la Cour d'appel aurait permis à un employeur, ayant embauché un travailleur clandestin, de soutenir que ce dernier ne pouvait prétendre au statut de salarié puisqu'il n'avait pas le droit de travailler en France. L'on sait pourtant que l'article L41-6-1 du Code du travail prévoit exactement le contraire, en déclarant que le salarié qui n'est pas muni d'un titre l'autorisant à travailler en France reste un salarié au regard de la législation du droit du travail. 

Reste toutefois une question non abordée dans cet arrêt. 

Même si le statut de journaliste professionnel est finalement reconnu à cette avocate par la Cour d'appel de renvoi, il n'est pas pour autant certain que les juridictions du travail étaient matériellement compétentes pour connaître du fond de ce litige. En effet, la présomption de salariat du journaliste telle qu'édictée par l'article L. 761-2, alinéa 4, est une présomption simple que la société éditrice de presse pourrait essayer de renverser en arguant par exemple de la présomption de non salariat (article L.120-3 du Code du travail) des personnes inscrites à l'URSSAF, ce qui est le cas des professions libérales et donc en général des avocats. 

Si l'on considère que deux présomptions en sens contraire se neutralisent, il faudrait rechercher concrètement s'il existait un véritable lien de subordination entre cette "avocate-journaliste" et la société éditrice de presse. 

ACTUALISATION :

Arrêt après cassation

Statuant après cassation, la Cour d'appel de Paris a finalement estimé que l'avocate ne pouvait prétendre au statut de journaliste professionnelle dès lors qu'elle ne contestait pas qu'elle ne tirait pas de ses activités journalistiques l'essentiel de ses revenus (conditions prévues par l'article L.7111-3 du Code du travail) Elle ne pouvait, de ce fait, bénéficier de la présomption de salariat attachée à ce statut. Il incombait donc à l'avocate de démontrer qu'elle était effectivement, dans les faits, salariée.
Mais la Cour a estimé qu'elle ne rapportait pas la preuve d'un lien de subordination et elle s'est donc, de ce fait, déclarée incompétente pour connaître de ce litige. 
(Cour d'appel de Paris 5 nov. 2009) 

2ème arrêt de la Cour de cassation

L'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 5 novembre 2009 a été frappé d'un pourvoi en cassation.

Le 7 décembre 2011, soit 4 ans après son premier arrêt dans cette même affaire, la Cour de cassation a confirmé la décision rendue par la Cour d'appel de Paris le 5 novembre 1999 en retenant que l'avocat journaliste, "bien qu'apportant à la société éditrice une collaboration constante et régulière, ne tirait pas de cette collaboration l'essentiel de ses ressources, de sorte qu'elle ne pouvait prétendre au statut de journaliste professionnel et au bénéfice de la présomption de salariat prévue à l'article L. 7112-1 du code du travail".


Cette décision est fort logique. Pour bénéficier de la présomption de salariat, le journaliste doit démontrer qu'il est en droit de prétendre au statut de journaliste professionnel. Or, un tel statut ne peut être reconnu à celui qui ne tire pas de ses activités journalistiques l'essentiel de ses ressources. En l'espèce, les ressources tirées par ce journaliste de son activité d'avocat étaient supérieures à celles qu'il recevait de la société de presse en rémunérations de ses activités journalistiques.