vendredi 15 avril 2016

Indemnité de licenciement et présomption de salariat des journalistes employés par des agences de presse

Par un arrêt du 13 avril 2016 (n°11-28713), la chambre sociale de Cour de cassation a été amenée à s'intéresser aux journalistes professionnels employés par une agence de presse.

Un photographe-reporter, titulaire d'une carte de presse, travaillait pour une agence photo. 

Aucun contrat écrit ne lui avait été remis mais, payé à la pige, il recevait chaque mois des bulletins de paye.

En raison d'un certain nombre d'irrégularités constatées dans l'exécution du contrat de travail, il prend acte de la rupture de ce contrat et il se tourne vers les juridictions du travail.

Après un jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Fréjus qui, tout en condamnant l'agence de presse à un rappel de primes d'anciennetés qui n'avaient jamais été payées estime que la rupture du contrat de travail doit produire les effets d'une démission, la Cour d'appel d'Aix-en-Provence est saisie par le journaliste.

L'agence de presse soutient alors que, même si elle lui a remis des bulletins de paye, elle n'a pas été liée avec ce journaliste par un contrat de travail et surtout que celui-ci ne peut pas prétendre au bénéfice de la présomption de salariat prévue à l'article L.7112-1 du Code du travail. 

Selon cet article L7112-1, dont la rédaction est issue de la loi Cressard, "toute convention par laquelle une entreprise de presse s'assure, moyennant rémunération, le concours d'un journaliste professionnel est présumée être un contrat de travail. Cette présomption subsiste quels que soient le mode et le montant de la rémunération ainsi que la qualification donnée à la convention par les parties"

Or, pour l'agence de presse en question, puisque ce texte ne vise que les conventions passées entre un journaliste et une "entreprise de presse" et non pas expressément les agences de presse, la présomption de salariat ne lui est pas applicable.

Etrangement, à quelques exceptions près, cette question n'a pas donné lieu à de vraies discussions pendant de nombreuses années et si l'on relève un certain nombre de décisions – notamment de la Cour de cassation - qui ont appliqué la présomption de salariat à des journalistes employés par des agences de presse, on constate également que ces mêmes agences ne contestaient pas que cette présomption pouvaient bénéficier aux journalistes travaillant pour elles.

Une circulaire n°DSS/5B/2008/344 du 25 novembre 2008 relative au régime d'affiliation des reporters photographes journalistes professionnels évoquait le sujet en concluant qu'"il n’apparaît pas que le législateur ait entendu écarter de la présomption de salariat précédemment évoquée les journalistes professionnels travaillant pour des agences de presse".

Quoi qu'il en soit, la Cour d'appel d'Aix-en-Provence, dans un arrêt  25 octobre 2011, n'a pas fait pas droit aux prétentions de cette agence de presse en considérant que la présomption de salariat pouvait bénéficier au photographe-reporter. Elle a également jugé que cette présomption simple (c'est-à-dire supportant la preuve contraire) n'était, en l'espèce, pas renversée par l'employeur.

L'agence de presse était donc bien liée avec le journaliste par un contrat de travail.

La Cour d'appel d'Aix-en-Provence a estimé par ailleurs que les fautes commises dans le cadre de l'exécution du contrat de travail justifiaient la prise d'acte de la rupture du contrat de travail par le journaliste et cette agence est condamnée à lui payer diverses sommes dont une indemnité de licenciement de 13 mois, l'ancienneté du salarié étant de 12 années et quelques mois.

Un pourvoi en cassation est formé par l'agence de presse.

Dans son arrêt du 13 avril 2016, la Cour de cassation confirme tout d'abord l'arrêt de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence en considérant que "la présomption de salariat prévue par l'article L7112-1 du Code du travail s'applique à une convention liant un journaliste professionnel à une agence de presse".

La règle est donc claire et la Cour de cassation n'entend pas faire de distinction en raison de l'activité des employeurs de journalistes lorsqu'il s'agit d'appliquer cette présomption légale de salariat.   

La Cour de cassation approuve également la décision de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence qui avait estimé que la présomption de salariat de ce journaliste n'était pas renversée par cette agence de presse celui-ci ne jouissant pas d'une "totale liberté".

En revanche, et c'est beaucoup plus surprenant, dans ce même arrêt du 13 avril 2016, la Cour de cassation a cassé l'arrêt de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence en ce qu'il avait condamné l'agence de presse à payer au journaliste une indemnité de licenciement d'un montant égal à un mois par année ou fraction d'année d'ancienneté.  

Une telle indemnité de licenciement résulte de l'application des termes de l'article L7112-3 du Code du travail selon lesquels :

"Si l'employeur est à l'initiative de la rupture, le salarié a droit à une indemnité qui ne peut être inférieure à la somme représentant un mois, par année ou fraction d'année de collaboration, des derniers appointements. Le maximum des mensualités est fixé à quinze".

Ce texte est situé dans la septième partie, livre 1er, titre 1er, chapitre 2, section 2 du Code du travail, c'est-à-dire dans la section consacrée à la rupture du contrat de travail des journalistes professionnels.

Pour bien comprendre le raisonnement suivi par la Cour de cassation, il faut également ici citer l'article qui, dans cette section, précède cet article L7112-3.

L'article L7112-2 dispose que :

"Dans les entreprises de journaux et périodiques, en cas de rupture par l'une ou l'autre des parties du contrat de travail à durée indéterminée d'un journaliste professionnel, la durée du préavis, sous réserve du 3° de l'article L. 7112-5, est fixée à :

1° Un mois pour une ancienneté inférieure ou égale à trois ans ;

2° Deux mois pour une ancienneté supérieure à trois ans.

Toutefois, lorsque la rupture est à l'initiative de l'employeur et que le salarié a une ancienneté de plus de deux ans et de moins de trois ans, celui-ci bénéficie du préavis prévu au 3° de l'article L. 1234-1"

C'est en effet au visa de ces deux articles que la Cour de cassation estime dans son arrêt du 13 avril 2016 "qu'il résulte de l'article L7112-2 du Code du travail que seules les personnes mentionnées à l'article L7111-3 [c'est-à-dire les journalistes professionnels employés dans "une ou plusieurs entreprises de presse, publications quotidiennes et périodiques ou agences de presse"] et liées par un contrat de travail à une entreprise de journaux et périodiques peuvent prétendre à l'indemnité de congédiement instituée par l'article L7112-3".

La Cour de cassation en conclut que la Cour d'appel d'Aix-en-Provence a violé ces textes en condamnant l'agence de presse à payer au journaliste une indemnité de licenciement égale à un mois par année ou fraction d'année d'ancienneté.

Il s'agit là d'une analyse pour le moins audacieuse des textes de loi.

On savait, depuis un arrêt de la Cour de cassation du 6 février 2001, que le bénéfice des dispositions de l'article L7112-2 du Code du travail (à l'époque il s'agissait de l'article 767-7 du Code du travail) relatives à la clause de cession est réservé aux journalistes qui travaillent dans des "entreprises de journaux et périodiques" à l'exclusion de ceux qui sont employés par des agences de presse. Cette jurisprudence pouvait se comprendre par les termes de la loi qui font expressément référence à une "cession du journal ou du périodique".

En revanche, en limitant aux seuls journalises employés par une "entreprise de journaux et périodiques" le bénéfice de l'indemnité de licenciement prévue à l'article  L7112-3 du Code du travail, la Cour de cassation se livre à une interprétation particulièrement restrictive de la notion d'"employeur", retenue par ce texte !

On aura compris que, pour motiver cette analyse, la Cour de cassation procède à une jonction de ce texte avec celui qui le précède dans le Code du travail.

Cet article L7112-2 ne traite pourtant a priori que de la durée du préavis des journalistes effectivement employés par les seules "entreprises de journaux et périodiques" mais la Cour de cassation semble considérer que parce que l'article L7112-3 suit ce texte il en conserve automatiquement le champ d'application et ce nonobstant l'emploi par le législateur dans ce second texte d'un terme plus large, celui d'"employeur".

De façon un peu contradictoire, la Cour de cassation fait référence, dans sa motivation, aux termes de l'article L.7111-3 du Code du travail qui vise bien les journalistes employés dans les agences de presse.

Il est donc difficile de comprendre la logique suivie.

Pour tenter d'être complet on précisera que dans deux arrêts du 24 février 1993 et dans un autre du 22 octobre 1996, la Cour de cassation avait déjà jugé, avant la recodification du Code du travail,  que :

"Vu les articles L. 761-4 et L. 761-5 du Code du travail ; Attendu qu'il résulte de ces textes que seules les personnes mentionnées à l'article L. 761-2 du Code du travail et liées par un contrat de travail à une entreprise de journaux et périodiques peuvent prétendre à l'indemnité de congédiement instituée par l'article L. 761-5 du Code du travail".

Cependant, dans ces 3 arrêts, les employeurs des journalistes n'étaient pas des agences de presse mais des entreprises d'ingénierie ou de la grande distribution. La solution retenue alors par la Cour de cassation était logique.

D'ailleurs, quelques années plus tard, elle avait jugé par un arrêt du 5 avril 1999 que :

"ayant fait ressortir que la société Sipa press était une agence de presse au sens de l'article L. 761-2 du Code du travail, la cour d'appel a décidé, à bon droit, que les salariés, en leur qualité de journaliste professionnel, pouvaient prétendre à l'indemnité de licenciement prévue par l'article L. 761-5 du Code du travail".

Cet arrêt du 13 avril 2016 opère donc, sur ce point, un revirement de jurisprudence. 

La Cour de cassation reconnaît ainsi, dans le même arrêt, que la présomption de salariat s'applique aux journalistes travaillant dans des agences de presse alors que l'article L7112-1 du Code du travail ne fait référence, pour l'application de cette présomption, qu'aux entreprises de presse, tout en écartant le bénéfice de l'indemnité de licenciement à ces mêmes journalistes au motif qu'ils ne sont pas employés par des "entreprises de journaux et périodiques" alors que cette condition n'est pas posée par l'article L7112-3 du Code du travail.

Comprenne qui pourra !

Ce que l'on peut également observer c'est que, comme indiqué ci-dessus, tout le raisonnement de la Cour de cassation est fondé sur le champ d'application limité aux "entreprises de journaux et périodiques" des dispositions de l'article 7112-2 du Code du travail, relatives à la durée du préavis. Or en pratique c'est l'article 46 de la Convention collective des journalistes qui s'appliquent, les durées de préavis qui y sont prévues étant plus favorables. Cet article 46 s'applique pourtant sans distinction à tous les journalistes, ceux employés par des "entreprises de journaux et périodiques" ou par des agences de presse.




Il reste que la conséquence pratique et directe de cet arrêt du 13 avril 2016 est d'ordre financier.

Le journaliste licencié par une agence de presse, parce qu'il ne peut, selon la Cour de cassation, prétendre à l'indemnité de licenciement prévue par l'article  L7112-3 du Code du travail ne devra s'attendre qu'au paiement de l'indemnité légale prévue à l'article L1234-9 du Code du travail, soit une indemnité équivalente à 1/5ème de mois par année d'ancienneté (majorée de 2/15ème au delà de 10 ans d'ancienneté).

L'absence dans la Convention collective des journalistes de texte fixant le montant de l'indemnité de licenciement des journalistes constitue donc, après l'arrêt de la Cour de cassation du 3 juin 2015 sur le montant de l'indemnité minimum applicable en cas de rupture conventionnelle du contrat de travail du journaliste (cf. cette autre page sur ce point), un nouvel handicap pour les journalistes, notamment ceux travaillant dans une agence de presse.

Ils apparaissent ainsi moins favorisés que de très nombreuses autres professions bénéficiant d'une Convention collective arrêtant une indemnité de licenciement supérieure à celle prévue par la loi.


D'ailleurs, dès lors qu'il est a été jugé que le bénéfice de l'indemnité prévue à l'article L7112-3 du Code du travail est réservé aux seuls journalistes employés dans les "entreprises de journaux et périodiques" et ce au motif qu'elles sont les seules visées à l'article L7112-2 relatif à la durée du préavis, on peut se demander ce qui empêchera de considérer également que les dispositions qui suivent ces articles, c'est-à-dire celles de l'article L7112-4 relatives à la compétence de la Commission arbitrale en cas de licenciement d'un salarié ayant plus de 15 ans d'ancienneté ou en cas de faute grave sont encore applicables à un journaliste employé par une agence de presse.

On observera tout de même que l'article 44 de la Convention collective des journalistes donne compétence à la Commission arbitrale des journalistes pour fixer l'indemnité de licenciement due à un journaliste licencié pour faute grave. On arriverait donc à une situation absurde puisque cette Commission serait compétente pour fixer le montant de l'indemnité de licenciement d'un journaliste employé par une agence de presse et licencié pour faute grave  (l'article 44 de la Convention collective des journalistes lui étant évidemment applicable) mais ne le serait pas pour fixer celle d'un journaliste licencié par une agence de presse après plus de 15 ans...

Qui faudrait-il saisir si le journaliste est licencié par faute grave par une agence de presse  après plus de 15 ans d'ancienneté ?

Quoi qu'il en soit, à s'en tenir aux termes de la loi, il reste très difficile de comprendre un arrêt qui considère que le terme d'"employeur" de journalistes doit s'entendre des seules "entreprises de journaux et périodiques" lorsqu'il s'agit de déterminer l'indemnité de licenciement et qui retient par ailleurs qu'une "entreprise de presse" se confond avec une "agence de presse" pour l'application de la présomption de salariat des journalistes. 

Si les journalistes professionnels employés par les agences de presse sont désormais clairement présumés salariés (ce qui est une avancée significative notamment pour ceux employés à la pige), ceux qui seront licenciés devront maintenant (dans l'attente d'un nouveau revirement de jurisprudence ?) se contenter d'une indemnité divisée par 5 en comparaison avec celle versée à leurs confrères employés dans la presse écrite ou dans l'audiovisuel.

Voilà une distinction difficile à comprendre !

En tout cas, le frein financier aux licenciements que pouvait constituer le montant des indemnités dues aux journalistes employés par les agences de presse - notamment ceux ayant le plus d'ancienneté - est désormais levé.

C'est dans l'air du temps...

On peut toutefois noter que par un arrêt du 20 septembre 2016, la Cour d'appel de Versailles n'a pas appliqué cette nouvelle jurisprudence de la Cour de cassation. 

Bien qu'invitée par une agence de presse, partie à la procédure, à fixer l'indemnité de licenciement d'un de ses journalistes à 1/5ème de mois par année d'ancienneté, cette Cour d'appel a en effet fait application des dispositions de l'article L.7112-3 du Code du travail et elle a donc condamné cette agence de presse à verser une indemnité d'un mois par année ou fraction d'année d'ancienneté.