vendredi 20 janvier 2017

Faut-il invoquer la clause de cession dans un "délai raisonnable" ?

A la suite d'une cession intervenue le 14 octobre 2011, une société de presse informe les journalistes qu'elle emploie de l'ouverture de la clause de cession prévue à l'article L.7112-5 du Code du travail et leur précise qu'ils devront exercer cette faculté au plus tard le 31 décembre 2011.

Le 15 juin 2014, une journaliste notifie à cette société sa décision d'invoquer cette clause de cession.

La société lui répond qu'"aucune des circonstances prévues à l’article L.7112-5 du Code du travail n’est effective au sein du journal" et elle prend immédiatement acte de la démission de cette journaliste.

Celle-ci se retrouve ainsi privée d'indemnité de rupture et, étant considérée comme démissionnaire par Pôle emploi, elle ne peut prétendre au versement des indemnités chômage.

Elle saisit le Conseil de prud'hommes de Bar-le-Duc afin de faire principalement juger qu'elle a valablement invoqué la clause de cession des journalistes et lui demande de condamner son employeur à lui verser une indemnité 

Par jugement du 11 mai 2015 ce conseil de prud'hommes, la déboute de ses demandes. Il estime notamment que "bien que l'article L7112-5 ne prévoit pas de délai de prescription, l'application de la clause de cession doit être la résultante directe de la cession et de fait intervenir dans un délai sinon concomitant à la cession, au moins raisonnable après celle-ci".

Il ajoute que la journaliste "n'établit pas de lien de lien de causalité entre sa demande de rupture de son contrat de travail et l'application de cette clause".

Saisie d'un recours contre cette décision, la Cour d'appel de Nancy a, par un arrêt du 13 janvier 2017, infirmé le jugement de première instance.

Elle relève qu'"il ressort des dispositions de l'article L 7112-5 du code du travail que le journaliste professionnel qui rompt son contrat de travail bénéficie d'une indemnité si cette rupture est motivée notamment par la cession du journal ou du périodique dont il est salarié.
Il ne résulte ni de ces dispositions ni d'aucune autre disposition légale ou réglementaire que cette faculté doit être exercée dans un délai déterminé.
Il ressort du dossier que, par lettre du 28 octobre 2011, la SA L'Est Républicain a informé ses salariés qu'elle avait fait l'objet d'une opération d'acquisition le 14 octobre 2011 et qu'après consultation du comité d'entreprise, elle ouvrait le bénéfice de la clause de cession aux salariés désirant bénéficier des effets de cette clause jusqu'au 31 décembre 2011.
Le courrier établi le 15 juin 2014 par Mme Emmanuelle B. et adressé à la SA L'Est Républicain met en évidence que la salariée a informé son employeur de sa volonté de mettre fin à son contrat de travail en bénéficiant des dispositions de l'article L 7112- 5 du code du travail.
Mme Emmanuelle B. a donc expressément et de façon non équivoque manifesté la volonté de bénéficier des dispositions relatives à la clause de cession.
Le fait que la société ait indiqué aux salariés une date limite pour manifester leur volonté de bénéficier de la clause de cession n'a pas eu pour effet de les priver d'exercer cette faculté au delà de cette date".

La société est donc condamnée à verser à la journaliste l'indemnité de licenciement qu'elle demandait.

Cette décision, conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation (cf. cette autre publication sur ce sujet), n'est pas critiquable en droit.

Il a en effet déjà été souligné que le droit d'invoquer la clause de cession n'est pas, par la loi, enfermé dans un délai particulier et qu'une décision de l'employeur ne peut valablement contraindre les journalistes à prendre leur décision dans le délai qu'il a déterminé (en l'espèce de 2 mois et demi).

Les juges n'ont dès lors pas la faculté d'apprécier si cette décision a été notifiée dans dans un "délai raisonnable" ou non, cette considération étant inopérante.  

La journaliste pouvait donc, même 2 ans et 8 mois après la cession, encore valablement invoquer ce droit et elle n'avait pas, contrairement à ce qu'a retenu le Conseil de prud'hommes de Bar-le-Duc, à justifier du lien entre sa décision d'invoquer la clause de cession et la cession elle-même.


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